En attendant l’heure de notre rendez-vous avec la guide qui va nous faire visiter la ville nous nous baladons autour du marché où les commerçants sont en train de s’installer. Notre guide, très sympathique et parlant un excellent français, nous apprendra que le motif et les couleurs des parasols, tous identiques, sont l’une des marques caractéristiques de Zagreb, reprise sur les parapluies souvenir en vente un peu partout.
Les plaques d’égout, couleur or et frappées des armes de la ville brillent au soleil. On a rarement vu aussi belles plaques d’égout.
Notre visite guidée nous conduit vers une grande maquette de bronze, dans un coin d’une placette en contrebas de la cathédrale, que nous n’avions pas encore remarquée. On y voit au premier plan, à gauche et au centre, les deux collines qui forment principalement la ville haute. Zagreb est née de la fusion vers 1850 de deux villes anciennes, Kaptol la religieuse (à gauche, autour de la cathédrale) et Gradec la commerçante (au centre, autour de l’église Saint-Marc et du parlement), situées sur ces deux collines voisines. D’après notre guide elles ont été en conflit plus ou moins intense pendant des siècles, selon un scénario digne d’un épisode de Lucky Luke : Kaptol reprochait à Gradec d’être un repaire de mécréants, Gradec reprochait à Kaptol de se mêler un peu trop de la vie publique. Elles ont finalement fusionné en 1850 et forment aujourd’hui la ville haute. Entre les deux serpente la rue de la soif (rue Tkalcieva) que nous connaissons déjà. Quel meilleur symbole de réconciliation imaginer ?
La visite se termine au pied de la tour Lotrscak, reste de la forteresse médiévale du 13ème siècle qui défendait Gradec, où nous attendons le coup de canon qu’on tire du sommet tous les jours à midi pile depuis 140 ans. C’est seulement après ce coup de canon que les églises de la ville peuvent sonner. Notre guide nous conseille de nous boucher les oreilles (elle a raison) et nous dit qu’elle a horreur de cette partie de la visite. Elle est née avant la guerre d’indépendance et les coups de canon, même pour jouer, ne la font pas tellement rire. Après la détonation le tireur ouvre une fenêtre et la foule l’applaudit pour son exploit.
Après la fin de la visite guidée, et un bon déjeuner au Mali Medo, nous entrons dans le musée d’art naïf. C’est un très beau musée qui réserve de belles surprises. On est, en particulier, frappé par les peintures sur verre, spécialité de certains artistes exposés. La netteté du trait et la flamboyance des coloris donnent à ces œuvres un aspect unique. Comme elles sont peintes sur l’envers, aux autres difficultés, s’ajoute pour l’artiste celle du dessin en miroir.
Nous restons un bon moment devant ce « Paysage d’hiver avec femme », de Mijo Kovacic, 1965, qui fait immanquablement penser à certaines toiles de l’un des Pieter Brueghel (l’ancien ou le jeune), avec un petit quelque chose de la période flamande de Vincent van Gogh pour l’apparence et les traits du personnage féminin au premier plan. Il pourrait presque se glisser dans les « Mangeurs de pommes de terre » de ce dernier.
« Guerre, famine et smog », de Josip Generalic, 1985, malgré sa prétendue naïveté, est saisissant. On ne peut s’empêcher de penser qu’il a été peint quelques années seulement avant la guerre d’indépendance de la décennie 1990.
Nous poursuivons notre exploration de Zagreb avec la ville basse. Les archives nationales sont hébergées dans un imposant bâtiment surmonté d’énormes hiboux en bronze, symboles de sagesse, paraît-il.
Dans un recoin proche des archives on peut admirer deux belles fresques murales, le plongeur qui transforme une cheminée métallique disgracieuse en tuba, et la femme bleue endormie. Le plongeur a malheureusement été un peu saccagé par un tagueur sans talent mais pressé de laisser sa marque. Au moins en reste-t-il quelque chose, à la différence de plusieurs autres fresques que nous avons cherchées en vain et qui n’ont pas survécu aux travaux incessants.
Le musée des années 80 tente de reconstituer la vie de certains yougoslaves (plutôt aisés) pendant cette décennie. Il y a de nombreuses différences avec ce que nous avons vécu à cette époque en France, les marques ne sont pas les mêmes, certains designs diffèrent un peu, mais dans l’ensemble on se croirait dans un appartement français un peu encombré. Tout y est : les vieux écrans cathodiques, les claviers à grosses touches qui font tac-tac, les caméras super-8, les grosses calculatrices à écran électroluminescent, les jeux vidéo sur la télé (ping-pong, casse brique, pac-man) ou les jeux d’arcade (space invaders), et, clou de l’exposition, bien qu’un peu incongrue au milieu d’un appartement, une demi Zastava jaune, avec valises et skis sur le toit, prête à partir pour les vacances. C’est un musée très sympa qui vaut le détour ; on peut toucher à tout et jouer avec tous les objets exposés.
Le soir venu nous dînons au Lanterna na Dolcu, restaurant réputé mais qui ne nous laisse pas une impression inoubliable (peut-être à cause des moustiques qui ont commencé leur dîner juste avant nous). Surprise, alors que nous attendons nos plats, l’allumeur de réverbères passe dans la rue (si, regardez bien à l’arrière plan ce monsieur avec une longue perche qui bricole une lanterne). Notre guide de ce matin nous l’avait annoncé : une bonne partie de la vieille ville est encore éclairée au gaz et un allumeur professionnel est chargé des quelques 250 réverbères. Nous n’aurions jamais cru le croiser un jour ailleurs que dans le « Petit prince ».